En cet été 1985, au détour d’un méandre de l’Yonne surgissent les rochers de Basseviles depuis environ 65 millions d’années, au dire des exprès géologues. Découpés par l’érosion, percés de grottes où se réfugient chauve-souris et milans, les rochers surplombent la rivière.
En cet été 1985, j’y exerce en tant qu’animateur plein-air, accueillant des groupes d’enfants des écoles et des centres de loisirs de la région. L’été revenu, immuablement les jours s’organisent en atelier d’escalade en journée, pour les enfants ; en entrainement sur la falaise en soirée, jusqu’au coucher du soleil. (et le soleil tarde à se coucher en cette saison ! ) Le printemps et l’été donc, je gravis la paroi et les niveaux.
Aussi – sans fanfaronnade -, je m’adonne au solo : l’escalade sans corde, sans assurance. Mais nulle improvisation, je connais les voies par cœur. Voies que je choisis en fonction de mes capacités physiques et phycologiques du moment. Voies bien moins difficiles que celles réalisées en tête, encordé. Le choix est prémédité car même sur la Muraillette d’une vingtaine de mètres, une chute est inenvisageable. Que dire de la Grande Falaise d’une hauteur de plus de 40 mètres ?
Je sais que des accidents ont déjà eu lieu mais deux voies me tentent en solo : Les Trois Glands par la Niche aux Moines. On dit que des moines ont taillé cette roche pour punir quelques récalcitrants. La deuxième, Le Grand Dièdre. Le niveau de ces deux voies n’est pas très élevé (5+ pour les connaisseurs). Ne souhaitant pas être puni, mais surtout redoutant l’ambiance, - il faut pour débuter la seconde longueur de Les Trois Glands par la Niche aux Moines, s’extraire de la fenêtre taillée, se suspendre dans le vide et poursuivre l’ascension-, j’opte pour Le Grand Dièdre, voie moins exposée.
Une soirée d’été, physiquement très en forme, j’y vais. Prétextant auprès des enfants quelques courses à Clamecy, je prépare ma course en solo seul sans corde, sans artifice hormis des chaussons d’escalade et un bandeau dans les cheveux. Le look parfait.
Concentré sur chacune des prises, il ne l’aura fallu qu’une vingtaine de minutes pour revenir à la terre ferme. Parcourir rapidement la voie comme si l’on courrait, est impératif au risque de s’épuiser et tétaniser en cours d’ascension. Personne n’aura vu mon bandeau, personne n’aura rien su de ce défi que je déconseille vivement à chacun et que j’interdit formellement à mes petits-enfants qui aurons le droit de le faire qu’en cachette.
Augustin Aurora, février 2025