Le vin blanc du Curé de Censerey


Le vin blanc de curé de Censerey

 

 

     Consacrée au culte de Saint Symphorien, l’église de Censerey se dresse au centre du bourg. Mais enfant de chœur, je ne me souciais fort peu du sort du jeune homme sacrifié – il y a fort longtemps - sur l’autel des religions. En ces années soixante-dix, les garçons enfants de chœur s’activaient au service de l’abbé. Il fallait préparer l’étole et la chasuble du prêtre, couper le pain béni, porter le calice.

 

Un dimanche matin, alors que le prêtre se rend d’urgence au confessionnal avant la célébration de la messe dominicale, le Jean-Pierre de Censerey m’interpelle :

 Vite, viens vite !

Intrigué, j’accours. Il me tend un gobelet. Je goutte.

  Du vin blanc ! Je connais. J’en ai déjà bu, me vantant un peu, puisque j’avais fini un fond de bouteille trouvé dans la cave. Je poursuis :

 Mais on se fera corriger si le Père l’apprend.

Le Jean-Paul de La Sérée et le Jean-Pierre de Chelsez, revêtus de leurs soutanelles et de leurs surplis demandent à gouter. En vérité, il y avait deux Jean-Pierre : le premier de Censerez appelé JP, le deuxième de Chelsez surnommé Chelsez pour faire court.

   Donne-m’en une p’tiote lichtée, demande Chelsez.

Puis Jean-Paul réitère la demande. Si bien que l’âpre liquide jaunâtre diminuant, JP range la bouteille dans le meuble prévu à cet effet.  Le prêtre revenu, chacun reprend sa place tentant d’oublier le menu larcin. Et à l’heure de verser le vin lors de l’office dominical, je crus enfin en un dénouement favorable.

 

C’était sans compter sur la perspicacité de Monsieur le Curé.

 

 

     Le jeudi suivant, Marie qui enseignait le catéchisme évoque le célèbre 7ième commandement : " Tu ne voleras pas". 

 

À la fin de la séance, elle déclare :

 Les filles peuvent y aller. Les enfants de chœurs, veuillez rester un peu. Dimanche dernier, Monsieur le Curé s’est aperçu que quelqu’un a consommé le vin de messe. Sachez que ce vin est consacré comme le pain et les hostiles. Il s’agit simplement d’un vol par gourmandise. Monsieur le Curé donne une semaine au voleur pour se dénonce. Vous pouvez partir maintenant.

 

Que cette semaine, nous parut longue. Que faire et quelle punition pour celui qui se dénoncera ? À l'école publique, à chaque récréation, pour le petit groupe de garçon dont je faisais partie, revenait la question du vin blanc…

 

     C’est en haut de la corde à grimper que j’ai pu élaboré une l’idée peut-être un peu bizarre mais terriblement très efficace. Je savais que JP, l’auteur du larcin, rodait tel un matou autour de Marie-Odile. Il m’avait même avoué qu’il espérait obtenir un baiser de la demoiselle. Comme il était beau garçon, il avait toute ses chances. Je lui propose :

 Jeudi, j’irai dire au prêtre que c’est moi qui ai bu le vin à la seule condition que tu ne vois plus Marie -Odile. Tu l’oublies. 

Sans broncher, par peur de la punition, il accepte immédiatement. 

 Crache par terre et dis « je le jure ».  Il s’exécute.

    Bien sûr, le jeudi suivant, les six garnements furent invités à s'expliquer.

Alors qui a eu la bonne idée de déguster le vin consacré ? J'attends, ironise le prêtre.

Je me lance.

— C'est moi. C'est moi qui j'ai eu cette mauvaise idée mais je ne voulais pas.... m'excusez mon Père, ânonnai-je bêtement.

Faute avouée, faute pardonnée. Tu iras donc repeindre la grille du cimetière pour ta pénitence, annonce l'homme de foi devant mes collèges médusés. Et je ne dirai rien à tes parents.

J’acquiesce, satisfait de m'en être tirer à moindre mal : gardant l'espoir secret d’une hypothétique rencontre avec Marie-Odile puisque mon principal rival est enfin évincé.

 

 

   Augustin Aurora, avril 2024

 

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